Prologue
Elle se tenait immobile, au bord du vide, les yeux rivés sur le bout de ses bottines vernies. Depuis combien de temps était-elle là, elle n’aurait pu le dire, mais la nuit était tombée depuis bien longtemps, accompagnée par une fine pluie glacée qui donnait à ce quai vide, à peine éclairé par quelques becs de gaz à la flamme vacillante, des allures de royaume des morts. De petits nuages de buée s’échappaient de ses lèvres entrouvertes et, si elle ressentait la morsure du froid, elle n’en laissait rien paraître. Au-dessous d’elle, les eaux noires du grand canal laissaient entendre un léger clapotis, seul bruit tangible au milieu de cette nuit froide. Elle avança un pied, le laissant suspendu dans le vide puis hésita un instant. C’est alors qu’elle entendit des cris et des injures sur sa gauche, provenant d’une ruelle mal éclairée. Elle haussa les épaules et reposa son pied sur la pierre du muret sur lequel elle se tenait, s’efforçant de ne pas prêter attention aux appels de détresse et aux bruits de lutte qui s’étaient amplifiés. Mais le charme était rompu. Après avoir jeté un bref coup d’œil vers les eaux du canal, elle redescendit du parapet et se dirigea là d’où venaient les cris, s’attendant sans surprise à assister à un spectacle qu’elle ne connaissait que trop bien.
« Tu vas filer ton sac ou je te crève ! » L’un des assaillants avait saisi le butin tant convoité et le tirait de toutes ses forces tandis que son acolyte frappait sans relâche la pauvre victime déjà à terre, qui se cramponnait tant bien que mal à sa besace, comme si sa vie en dépendait.
Elle les observa quelques instants, considérant la scène d’un œil critique. Elle connaissait ces hommes, elle les connaissait tous, mais le pauvre hère sur lequel ils s'acharnaient lui était inconnu. Il n'avait pas sa place ici, pensa-t-elle avant d'avancer vers eux d’un pas tranquille. Un sifflement avertit les deux hommes de son arrivée. Deux notes aiguës et lugubres qui remplirent leur regard d’effroi devant cette apparition fantomatique. « La Lijhline ! » s’écria l’un d’eux en reculant prudemment, prêt à détaler au moindre geste de cette femme qui le terrifiait.
« Oh zrät ! On se tire ! » Le second, toujours agrippé au sac du malheureux, tira un grand coup, lui arrachant finalement ce pourquoi ils l'avaient attaqué. Puis, sans demander leur reste, les deux voleurs s’enfuirent sans se retourner, comme s’ils avaient le diable aux trousses.
Ne laissant transparaître la moindre émotion, elle se pencha au-dessus de la forme recroquevillée sur elle-même, immobile, pour vérifier que le malheureux était encore en vie. Sa respiration était faible, presque imperceptible, mais après un bref examen, elle en conclut que le cœur battait toujours. Il était jeune et ne ressemblait pas aux âmes perdues qu'elle côtoyait tous les jours ici. Cela éveilla sa curiosité. Indécise, elle regarda autour d’elle, cherchant une réponse à sa question silencieuse. Devait-elle retourner au bord du canal et en finir ou devait-elle s’occuper de ce jeune homme dont elle avait, sans le vouloir, sauvé la vie. Il avait lutté de toutes ses forces en vain, et d'ici peu le froid de la nuit finirait de l'achever. Peut-être était-ce mieux ainsi ? Un léger gémissement la sortit de ses réflexions et d'un geste sec, elle retira sa lourde cape pour l’y emmitoufler, le temps d’aller chercher un cab qui les ramènerait chez elle.
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