Un mois a passé depuis que j’ai commencé à travailler sur ma reproduction du fameux corset fourreau sylphide de Mme Margaine Lacroix. Et j’ai fait énormement de progres dans ma collecte d’informations. Ayant épuisé mes sources françaises et gratuites, je me suis résolue à payer une souscription pour accéder aux archives des journaux américains, esperant trouver quelques bribes d’informations…. Et là cela a été une explosion d’information et de nouvelles photographies. Les tanagréennes de Longchamp on fait beaucoup de bruit là bas. Mais j’en parlerais plus tard.
Ce corset, donc, m’en aura fait voir de toutes les couleurs. Il est si simple et si complexe. Une gaine élastique avec quelques baleines et des jarretelles intégrées. Ca semble simple. Et pourtant ….
Mais commençons par le début. Le corset sylphide que je tente de reproduire est décrit dans le brevet N° 391.436 du 16 septembre 1908. C’est une modification du premier corset sylphide fourreau dont le brevet date du 5 juin 1908.
Le premier brevet était intéressant et je pense toujours exploitable comme doublure de robes tanagréenne. Il s’agit d’un fourreau en jersey de soie avec un jeu de jarretelles en bas qui se positionne en travers de la cuisse pour que le tissu élastique reste bien tendu. Par dessus la robe est directement drapée et cousue.
J’ai pu trouver dans le Oregon Daily journal du 22 novembre 1908 une photo de l’interieur d‘une tanagréenne ( hélas pas la mienne) qui montrait l’exacte réplique des dessins du brevet de Mme Margaine Lacroix ( voir article précédent pour les autres schemas)
L’ouverture se fait dans le dos et la guimpe est intégrée à la robe. Les cotés sont très longs pour bien emboiter les hanches.
On voit aussi la longue jarretelles en bas à droite qui est sensée passée sous la cuisse et s’accrocher sur le devant. Ce système a été abandonné dans le brevet suivant car trop inconfortable sur la durée.
Toute la lingerie de dessous est supprimée, plus de chemise, de jupon, de pantalons de lingerie, de cache corset etc. Certains articles disent qu’à la rigueur, les femmes peuvent porter un maillot mais guerre plus. Les robes sont tellement moulantes que la moindre épaisseur en plus se verrait. La silhouette n’est plus formée par ces couches de vêtements, elle est simplement gainée.
De notre œil moderne, cela ne semble pas si révolutionnaire que cela, on voit beaucoup de robes de mariées ou de robes haute couture avec un corset integré, mais à cette époque, il s’agissait d’une vraie innovation La silhouette change radicalement, les tailles sont moins étranglées, la femme retrouve sa souplesse et sa liberté de mouvements. C’est d’ailleurs un des éléments utilisé dans l’une des rare publicité pour le corset sylphide que j’ai retrouvé (bonjour Moina, un jour j’arriverais à trouver des informations sur toi )
Petit aparté d’ailleurs, beaucoup dans les journaux d’époque ou de personnes, même maintenant pensent que seul les « femmes bien faites » ( dixit Mlle Sorel dans une interview sur les robes de Longchamp ) peuvent porter une telle robe. C’est ce dont défend totalement Mme Margaine Lacroix. Certes ses modèles sont jeunes et fines, mais au cours de mes recherches j’ai découvert deux photos (une carte postale « Paris Mondain » et une photo dans un article de The sphere du 27 juin 1908 ) d’une dame portant la reproduction d’une des trois tanagréennes de longchamp. Et je la trouve très belle. Son corps n’est pas mince mais le corset sylphide gaine ses formes à la perfection, soutenant son buste et marquant sa taille de maniere naturelle.
Fin de l’aparté. Je passe à présent au brevet du 16 septembre. Le fameux corset sylphide dont j’ai trouvé les photos dans la base de donnée du musée de Varsovie.
Il a été fait des changements majeurs par rapport à la version précedente. On reste sur du jersey de soie, mais la forme est modifiée. Il peut être fait avec ou sans gorgerette. Cette partie si elle est ajoutée est en tissu non extensible. Mais c’est la version sans qui m’intéresse. Le changement majeur a été de modifier la jarretelle qui passe sous la cuisse. Elle est remplacée par une série d’œillets ou une bande à bouclettes. Pour y fixer les bas il suffit d’y avoir cousu au préalable une même bande d’oeillets ou de bouclettes et d’un faire passer un lacet. Cela permet de bien tendre le bas du corset et de ne plus avoir de gène au niveau des jarretelles. Pour former un semblant de jupon, une bande de filet et de franges est cousu sur le bas, cela permet de cacher la jonction entre les bas et le corset et embellit l’ensemble.
En décomposant le corset d’après les schémas et les photographies, on s’aperçoit qu’il s’agit d’un corset en 4 pièces, assez proche des futurs corsets 1910. Restait à déterminer la position des coutures et le degré de constriction… et là arrive la partie casse tête ( et pas très historique ou conventionnel mais je ne suis pas une couturière historique ^^; )
Tout d’abord, j’ai dessiné un patron de corsage long à pinces princesse comme pour le corset n°1 afin de pouvoir coudre les épaules et mieux le positionner à l’essayage. Le tissu jersey fin directement coupé comme un corset risquait d’être bien plus difficile à essayer car impossible à tendre correctement en haut et en bas en même temps à moins d’avoir trois paires de bras en plus.
Pour mon premier essai, j’ai fait un fourreau avec 10% de réduction, le résultat était bien trop lâche et peu confortable. Cela ressemblait plus à une sorte de tshirt à pinces princesse et ne gainait rien. En regardant les photos on voit bien que la taille est legerement reduite alors que les hanches et le buste restent plein.
J’ai donc changé de tissu pour un jersey satin lourd etirable uniquement dans la largeur. J’ai ensuite pris une règle, mon tissu et je l’ai étiré au maximum. Sur une bande de 10cm mon tissu s’étirait de 20cm. Ce qui veut dire … que je devais réduire les pièces de mon patron à la taille de façon à ce que le tissu étiré au maximum réduise ma taille de 2cm. Ce qui fait que je me suis retrouvée avec un patron final dont le tour de taille était de … 30cm … Pour le buste et les hanches, j’ai juste fait une réduction de 10% pour que le tissu moule mes formes sans les écraser, et donner cet effet “statuaire” que Mme Margaine Lacroix décrit dans son brevet. Cela donne un agreable soutien au niveau de la poitrine.
Concernant ce corset, l’attrait principal est sa souplesse, on peut le constater sur la photographie publicitaire citée plus haut.
Dans les brevets, la mention du type de baleine n’est pas mentionné. Pour que notre jolie demoiselle puisse se tordre ainsi il lui faut des baleines souples. En continuant à cherché, j’ai trouvé un fascicule appelé « Les Maitres de la Mode » de 1908. Il y figure un certain nombre de gravures représentant les modèles emblématiques de certains couturiers parisiens de l’époque avec un petit mot écrit de leur main pour vanter les merites des baleines de plume. Mme Margaine Lacroix y figure avec trois tanagréennes représentées.
« Vos baleines de plumes ont toutes les qualités désirables, je ne saurais m’en passer. » écrit-elle.
Les baleines de plume ou featherbones sont une autre petite révolution dans la corseterie. Invention américaine de Mr Warren qui voyant que la partie dure des plumes était souvent jetée a eu l’idée de créer des baleines pour corset en tissant ces tiges dans des rubans. En ressort une baleine souple, solide et bien plus abordable que les fanons de baleine.
J’ai bien tenté de mettre la main sur un rouleau de baleine de plume ou featherbones, mais les frais de port depuis les USA sont devenus prohibitifs et les baleines fabriquées après 1938 ont changé de procédé de fabrication. D’après ce qui m’a été dit, les baleines de plumes étaient de la même souplesse que les fanons de baleine. Mais je ne me voyais pas chasser la baleine. Je me suis donc rabattue sur des baleines allemandes en plastique.
J’ai donc coupé le haut de mon corset à la forme dessiné dans le brevet de septembre et posé mes baleines. Sur le brevet elles semblent dessinés en double mais sur les photos des corset je n’en vois qu’une seule prise dans la couture. Pour plus de facilité, j’ai donc choisi cette option.
Le brevet de Mme Margaine Lacroix mentionne plusieurs types de fermeture différentes. Plutôt que des oeillets classiques, j’ai voulu reproduire un de ses systèmes dont les boucles ressemblent énormement à des passants de chaussures de montagne. J’ai reussi à en trouver mais ma commande est en attente depuis un mois. J’ai du donc poser des bandes d’oeillet temporaire pour pouvoir enfin essayer mon corset correctement.
Et voilà donc. Il reste encore beaucoup de finition et il y a quelques erreurs. J’ai mal calculé la longueur de mon corset. Celui de Mme Margaine Lacroix arrive à mi cuisses le mien en haut des cuisses, ce qui affecte aussi un peu la forme je pense. Pour le rallonger le corset j’ai rajouté deux bandes en bas et les ai fait depassé façon cuissardes comme sur un corset postérieur fait par Mme Bellanger, alors qu’en regardant attentivement le schéma de mme Margaine Lacroix, les boucles qui tiennent les bas ne passent pas sous la cuisse. La pièce ventrale part droite et se rétrécit au niveau du pubis alors que celle du corset sylphide est placée sur le centre de la cuisse avant. Bref, on pourrait jouer au jeux des X erreurs entre ces deux photos.
Reste encore à broder les épis de blé qui sont la marque de ce corset ( on retrouve ce motif d’épis sur ses publicités de corset sylphide de 1912 ) et à fixer les oeillets et les boucles sur le bas du corset en attendant de recevoir un jour mes passants à chaussures pour faire la fermeture définitive du corset. et faire une petite chemise en dentelle pour compléter le tout. Et peut etre ajouter un padding aux hanches comme il m’a été conseillé, cela donnerait un aspect plus rond et eviterait l’effet culotte de cheval, mais comme cet ajout n’est mentionné nul part dans les articles que j’ai pu trouver, j’hésite. Je pense que je verrais une fois que j’aurais entamé ma tanagréenne.
Mais voilà donc le mystère du corset sylphide qui m’obsède depuis des mois à peu près résolu. Une gaine fourreau en élastique très confortable, moulant la ligne sans la déformer et permettant une grande liberté de mouvement sans être entravé par une tonne de jupons et des jarretelles qui tirent.
Mais mon aventure continue dans le monde des tanagréennes et de cette petite révolution de la mode qui a changé bien des choses dans la façon de concevoir le vêtement féminin.
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