Avant propos : Cet article est le résultat de recherches dans les journaux et revues parues entre le 11 mai 1908 et le 31 mai 1908, ce qui fait près d’une quarantaine d’articles plus ou moins longs évoquant l’incident des robes de Longchamps. Ces sources sont disponibles à la consultation sur le site de Gallica et Retronews. Certaines autres sources sont directement issues de scans de journaux d’époque trouvés sur internet ou en ma possession. Je ne peux affirmer détenir la vérité vraie sur cette affaire ( à mon grand regret je n’ai pas de machine à remonter le temps et je ne suis pas douée pour le spiritisme) mais j’espère m’en rapprocher.
Que s’est il passé en ce jour de mai 1908 ? Quel est donc ce scandale qui a mis en émoi durant une quinzaine le tout Paris ? Combien étaient elles ? Y a t’il eu une émeute ? Un outrage à la pudeur constaté par les agents de police ? L’une d’entre elle laissait-elle réellement paraître sa jambe ? Etait-ce un retour aux modes du Directoire ? A la dégradation des mœurs ? Seront elles nues la prochaine fois ?
Avant tout, soyons factuel. Voici 3 faits indéniables où tous s’accordent :
La date : 10 mai 1908
Le Lieu : Longchamp
Les faits : Un groupe de mannequins en costume nouveau fait son entrée au pesage de Longchamp.
Mais c’est dans les détails que l’histoire diffère. Les robes sont très moulantes, les jeunes femmes belles et grandes, la couleur de leur tenue est éclatante et… Quelque chose se passe. Quelque chose qui a mis en émoi les journalistes, qui leur a fait grossir le trait et qui a été repris et amplifié par leurs confrères. Voici donc ce qui s’est dit :
1° Elles étaient trois
2° Elles étaient quatre
3° Leurs robes étaient soit rose, bleue, verte, blanche, khaki, jaune, havane, banane, terra cotta, mordoré, bleu egyptien .
4° Leur apparition a crée une émeute.
5° La foule était hostile et railleuse
6° Une des robe était fendue très haut.
7° On a pu voir la jambe de la jeune femme juste au dessous du genou
8° On a pu voir la jambe de la jeunne femme jusqu’au dessus du genou
9° On a pu voir sa jambe entière
10°Elle portait un bas noie
11° Elle portait un maillot de soie rose
12° Elle était d’un blanc de neige
13° Des policiers ont du les raccompagner à leur voiture pour les proteger de la foule
14° Une des jeune femme s’est vu dressé un procès verbal pour outrage à la pudeur
15° Le couturier les a accompagné tout du long et une fois rentrés de Longchamp il leur a donné 5 louis d’or et elles ont pleuré
16°Ce sont des robes Directoire, tout droit sorties de l’époque de Mme Tallien.
Quel scandale ! Non seulement elles étaient tellement moulées dans leur robe qu’on pouvait deviner leur académie, mais en plus on a vu une jambe ! La legende des robes de Longchamp était lancée.
Mais bien des points me semblent ne pas etre très fiables. En compilant tous les articles, j’ai remarqué que beaucoup se reprenaient les uns les autres, sans chercher de qui étaient ces robes, les appelant Directoire par le simple fait qu’elles étaient fendues sur le coté. Certains evoquaient l’incident pour se scandaliser de la dégradation des mœurs. C’était à quel journal s’indignerait le plus ou s’en amuserait le plus. Peu ou pas de mention de l’artiste qui les avait crée. Mais deux articles donnaient un récit diamétralement opposé à ce scandale. Qui croire ?
Pour essayer de comprendre le probleme avec les rumeurs dans les journaux, j’ai fait une chronologie des articles trouvés et leur date de parution pour savoir quand la police avait été mentionnée. L’intervention de la police étant tout de même un fait très important. Il se devait d’etre rapporté dans les tous premiers articles parus au lendemain de Longchamp. Hors … , la premiere mention de la police ne se fait que le 12 mai alors que le sujet des robes avaient déjà eté evoquées dans plusieurs articles depuis le 11 mai et d’autres journaux parus le 12 n’en parlaient pas.
Jugez par vous même :
11 mai
Le Journal, Gil Blas : Pas de mention de la police
12 mai :
Gil blas, La Gazette de France*, La Libre Parole, L’Action, Le Siècle* : pas de mention de la police
La republique française : rumeur de poursuite pour outrage à la pudeur, mais démentie dans le même article. Intervention de la police.
La Libre Parole : Affirmation de poursuite pour outrage à la pudeur
13 mai :
Le memorial de la Loire et de la Haute Loire : le commissaire en personne dresse un proces pour outrage à la pudeur
L’eclair, le petit Parisien: Les policiers sont juste intervenus pour donner de l’air aux jeunes femmes, pressées par la foule, pas d’outrage à la pudeur
La Gazette, le Progres de la cote d’or : Pas de mention de la police
La Liberté : Le commissaire Grillères qui était sur place dement les rumeurs d’intervention de la police en ajoutant que les journalistes ont grossis les faits. Il parle d’un mouvement de curiosité de 200 personnes mais rien n’ayant nécessité l’intervention des agents.
14 mai :
Le petit bourguignon, la petite gironde, le petit Caporal* : intervention de la police, pas d’outrage à la pudeur
La Lanterne, la petite république, le gaulois : pas de mention de la police
15 mai :
Le journal, comoedia : pas de mention de la police
La nouvelle presse : Intervention de la police et proces verbal pour outrage à la pudeur.
16 mai :
Gil Blas : Pas de mention de la police mais une toute autre histoire. C’est mr Raoul Aubry (pseudonyme de Mr Felix Leclud )qui aurait raccompagné une des demoiselle à sa voiture.
Le figaro : Pas de mention de la police
L’illustration : C’est le couturiere qui suit les modèles tout du long et qui les raccompagnent jusqu’à la maison de couture pour les payer.
du 17 mai au 26 mai :
La fin de siecle, la Libre Parole, le Phare de la Loire, le Grand national, La france, la nouvelle presse, Comoedia, La republique francaise, Gil Blas, Le Figaro : : Pas de mention de la police
Les noms des journaux avec un asterisque sont ceux qui ont republié un article deja publié à une date anterieur.
Sur les 37 articles parus entre le 11 et le 26 mai 1908,
9 Parlent de l’intervention de la police et/ou d’outrage à la pudeur
25 Ne parlent pas du tout de la police
1 Parle du couturier raccompagnant les modèles
1 Parle d’une autre personne raccompagnant un modèle
1 Dement totalement l’intervention de la police et le proces verbal
Pourtant c’est l’histoire de l’intervention de la police et de harangue de la foule envers les jeunes femmes ( mentionné dans un article de 1909 de la Mode Pratique comme le « cri de grenoble », épisode ou un deputé s’est fait hué par la foule grenobloise sans pouvoir mot placer. ) qui semble avoir retenu l’imaginaire collectif.
Passons aux couleurs et nombre de mannequins. C’est un point assez difficile à confirmer.
En premier parce que les dénominations de couleurs changent selon les personne. L’un dira qu’une chose est carmin, un autre, pourpre alors qu’un troisième dira que c’est rouge.
Les couleurs évoquées sont : rose, blanc, bleu, vert, vert feuille, mordoré, khaki, bleu, bleu d’egypte, jaune, banane, havane, terracotta.
On peut déjà regrouper le rose, havane et terracotta sous une même robe. Ce sont des nominations de couleur assez proche. Une robe dont la photographie a été publiée en couverture de la Nouvelle Mode le 31 mai 1908 sous la couleur : Terre Cuite.
La seconde, serait jaune « banane » (on peut donc groupe les termes, jaune criard, banane et mordoré) selon la premiere description qu’il en a été faite mais aussi selon une gravure colorisée montrant la dite robe en jaune. Cependant je reste plus reservée pour celle là car la première robe est representée en blanc.
( la gravure colorisée est un mélange de trois photos de Longchamp, celle ci dessus et deux autres presentées en fin d’article, notez qu’on ne voit pas la jambe de la jeune femme sur la photographie mais qu’elle est bien representée sur la gravure)
La troisieme est semble-t-il d’un vert tirant sur le bleu ou d’un bleu tirant sur le vert et accompagnée de panneaux de mousseline plissée liberty noire dans le bas pour masquer la fente. Beaucoup la designent sous la couleur bleue mais Mme Margaine Lacroix la designe sous le terme « vert »
Quid de la 4eme robe ? C’est là où je suis plus perplexe. Aucune autre robe n’est visible sur les photos et les gravures faites de Longchamps.
Pourtant, il existe une photographie prise probablement dans la Maison Margaine Lacroix montant une autre tanagréenne accompagnant la robe Terre Cuite et la robe Banane.
Peut être cette derniere n’a pas autant retenue l’attention des photographes de Longchamps que ses trois consoeurs ? Il y a une photo, issue du Comoedia de mai 1908 montrant une robe de dos qui ne ressemble pas aux trois autres et attribuée à Margaine Lacroix. Mais je ne peux affirmer que la photo a bel et bien était prise à Longchamp ce 10 mai 1908 ou qu’il s’agissait d’une photo d’illustration prise ailleurs ou a une date anterieur.
Bref, trois modèles de sûrs, peut être une quatrieme. Mais en même temps, il est possible que la robe à panneaux de mousseline noire se soit « dedoublée » dans l’imaginaire collectif de par un incident. En effet il est mentionné que la mousseline se serait dechirée lors de la déambulation ( ce qui a donc crée le scandale en laissant apparaître une jambe. Puis que la modèle se serait rendue au salon des dames pour poser des epingles afin de refermer la fente. Ce qui aurait donc à sa sortie masqué la fameuse fente et donné l’impression d’une quatrieme robe à ceux qui n’auraient pas vu l’incident et se le serait fait rapporter. Mais cela reste mon hypothèse.
Sachant tout cela, reprenons l’histoire en essayant de comprendre ce qu’il s’est passé et pourquoi un tel tapage autour de ces robes
Le 10 mai 1908, un dimanche, a eu lieu une course hippique à Longchamp. Cet événement fréquenté par le tout Paris est l’endroit où se faire voir. Les photographes et journalistes y sont nombreux pour couvrir l’événement, non seulement la course mais aussi, les modes.
Hors donc, ce fameux 10 mai, le temps était maussade. Et c’est un fait très important qui peut expliquer toute la suite.
Les Parisiennes avaient revêtues des costumes tailleurs et autres robes aux teinte relativement sombres, par peur de la pluie et probablement de la boue qui risquait de souiller leur toilettes claires.
L’incident survint au Pesage. Apparurent trois (je m’en tiens à trois car je n’ai actuellement pas de preuve de la présence de la 4eme sur aucune photo ) mannequins de maison de couture vêtues de couleurs claires. Une robe couleur Terre cuite, une couleur jaune et la dernière vert bleue. Ces couleurs chatoyantes plutôt à leur place dans les salons que sur un champ de course on crée un mouvement de curiosité par contraste avec les tenues plus sombres presentes ce jour là.
Il est intéressant de dire qu’un article fait mention de robes tout autant collantes que celles de ces dames mais de couleurs plus sobres, ce qui aurait moins attiré l’attention. Il est à noter aussi que les robes Tanagréenne étaient déjà connues dans les salons et au théâtre depuis plusieurs mois ( “Les Modes” avant 1908 presentait déjà des robes tanagreenne et sylphide de Mme Margaine Lacroix).
Ceci étant dit, Quid de la fente laissant voir la coupable jambe ?
La robe était bel et bien fendue. D’ailleurs, deux des robes étaient fendues, sur exactement 45cm. Nous sommes bien loin de l’immense fente prétendue par certains. L’une comportait un panneau de même tissu que la robe. La seconde, elle avait un panneau de mousseline noire plissée qui s’est déchirée durant la déambulation laissant apparaître un instant la jambe. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’une des femme témoin de cet incident a remarqué que le bas était en coton noir. Le coton n’étant pas une très jolie matière à montrer pour quelque chose qui serait exprès visible. La jeune modèle a du aller aux salon des dames pour pouvoir refermer sa jupe avec des épingles.
Donc, durant un fugace instant on a pu voir sa jambe, jusqu’au dessous du genou. Mais la rumeur, amplifiée, déformée, répétée a transformé un mollet gainé de bas noir de coton en une jambe entière portant maillot de soie rose ou ne portant rien du tout.
Il n’y a pas eu, selon les dires même du commissaire Grillère qui était là, d’intervention de la police. Il a bien parlé d’un mouvement de foule. De curieux qui les ont suivi, mais rien qui n’a nécessité l’intervention de la police. Il précise aussi que l’ histoire de procès verbal est pure fantaisie.
Une des jeune femme a-t-elle été raccompagnée par un certain Raoul Aubry, sont elles retournées seules à leurs auto ? La fin de l’histoire reste floue. Il reste que le nom d’un des modèle a été mentionné dans un article, Moïna, qui portait la robe couleur banane. Mais je n’ai pas encore reussi à trouver d’informations sur cette personne. Il semblerait que ce soit une artiste de music hall. Il s’agit du mannequin vedette de Mme Margaine Lacroix. Elle aurait, selon l’article, été par la suite engagée par un directeur de music hall.
Voilà donc pour l’incident de Longchamps.
Mais j’ai encore quelques petites indications, cette fois ci concernant les photographies qui montre à quel point il était même à l’époque facile de déguiser la vérité.
Voici trois photos.
La premiere est la photo de couverture de l’Illustration du 16 mai 1908.
La seconde est une photo issue d’un journal neerlandais (?)
La troisieme est une autre photo de presse.
Quelque chose ne vous choque-t-il pas ? La premiere photo est un montage qui a utilisé la femme en premier plan de la troisieme photo, la mousseline du bas de sa robe a été redessiné ce qui donne l’impression d’une fente bien plus grande. Mais on ne voit pas sa jambe.
La seconde photo par contre …. voyez vous cette jambe parfaitement redessinée et visible chez le second modèle ? Comparez à la photo numero 3.
Comme quoi, même à l’époque on pouvait faire mentir les photo et déformer la vérité avec autant de facilité que photoshop.
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